Savoir aider quelqu'un Problématique
Mais pourquoi elle reste ? : le piège de la violence conjugale
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Comme la violence conjugale est une problématique complexe et qu'il est souvent difficile de percevoir ce à quoi une victime est réellement confrontée lorsqu’elle songe à une rupture, on peut avoir de la difficulté à comprendre pourquoi la victime fait le choix de ne pas quitter un partenaire violent. Dans les faits, quitter une situation de violence conjugale peut être très difficile et comporter de nombreux enjeux qui compliquent beaucoup cette décision.
L'allégorie de la grande roue
On dit souvent qu'on doit suivre le rythme de la victime quant à une éventuelle rupture. En réalité, ce n'est pas réellement la victime qui est en cause, mais le rythme de la violence elle-même. Il y a des moments où quitter une relation de violence conjugale peut être plus périlleux que d'y demeurer... comme dans une grande roue.
Quand on est dans une grande roue, on n'a que des opportunités limitées d'en descendre et on n'a pas de pouvoir sur son rythme. Si la personne qui opère la grande roue décide de l'arrêter alors qu'elle est en haut... on est pris. Il faut attendre que la roue reprenne, que la nacelle soit en bas et qu'elle s'arrête pour qu'il devienne possible d'en descendre. Pour faire un parallèle encore plus réaliste avec la violence conjugale, imaginons que la roue ne s'arrête jamais et qu'elle ne tourne pas toujours à la même vitesse. On a de plus en plus mal au coeur... mais on ne peut pas descendre facilement. Sortir d'une situation de violence conjugale c'est un peu ça. La roue s'arrête souvent en haut, l'opérateur mène le bal et la passagère n'a que peu de contrôle sur la situation. On peut avoir besoin de faire de nombreux tours de roue pour comprendre son rythme et planifier la meilleure façon d'en descendre de la façon la plus sécuritaire possible.
Les ressources en violence sont là pour accompagner la victime dans ce manège, pour l'aider à évaluer ce à quoi elle fait face, pour planifier le meilleur moment de descendre et pour l'attendre en bas, en installant le plus de matelas possible sous la roue, au cas où la descente serait difficile.
Voici quelques uns des enjeux qui piègent les victimes dans une relation où il y a de la violence conjugale :
Le potentiel de danger
Le moment de la rupture est le moment le plus dangereux dans une situation de violence conjugale. Le potentiel d’escalade est important et le risque de blessures graves ou même d’homicide est présent dans certaines situations. Les victimes de violence sentent ce potentiel de danger et tentent de s’en préserver et de protéger leurs enfants.
La peur de représailles et de la violence post-séparation
Les partenaires violents font généralement de nombreuses menaces pour éviter que leur victime ne remette la relation en question. Certaines de ces menaces sont explicites : «Tu ne sais pas ce que je serais capable de faire si tu t’en vas» ; «Si jamais tu pars, oublie les enfants, tu les reverras jamais» ; «Si tu me laisses, je me tue et ça sera de ta faute», etc. De plus, les victimes sentent que la violence ne cessera pas avec la rupture, ce qui se confirme malheureusement trop souvent par la violence post-séparation.
L'isolement et la victimisation secondaire
Les victimes se retrouvent généralement très isolées par la violence conjugale. De plus, certain-es proches risquent de brusquer ou de juger les décisions et les réactions des victimes, leur infligeant ce qu'on appelle des victimisations secondaires qui viennent entraver encore plus la relation et l'accès au soutien des proches. Le fait de ne pas avoir accès à l’aide concrète et au soutien émotionnel de leurs proches complique la réflexion face à une rupture potentielle.
La peur pour leurs enfants
La peur qu'un partenaire qui exerce de la violence conjugale se retrouve avec une garde exclusive ou partagée des enfants est souvent présente pour les victimes, particulièrement si l'agresseur a déjà fait des menaces à cet égard ou s’il a déjà été violent avec les enfants.
Les répercussions de la violence
Au moment de considérer une rupture à cause de la violence conjugale, les victimes de violence ont souvent subi cette violence depuis plusieurs mois, voire plusieurs années. Les conséquences de la violence sont donc déjà bien présentes : elles sont épuisées, elles ont perdu confiance en elles et en leurs capacités, elles ont des problèmes de santé physique dus au stress, elles ont peur et peuvent présenter les symptômes de l’état de stress post-traumatique. Ces conséquences font en sorte qu’elles ont du mal à imaginer être en mesure de faire face à une rupture et à tout ce que celle-ci implique.
Le manque de ressources financières
La violence économique chronique fait souvent en sorte que les victimes de violence conjugale n’ont pas (ou n’ont pas accès) aux ressources financières qui permettraient d’assurer la réponse à leurs besoins et à ceux de leurs enfants en plus de devoir assumer les nombreuses dépenses inhérentes à une rupture éventuelle (déménagement, réorganisation matérielle, frais d'avocat, etc.). De plus, les impacts de la violence sur sa santé peuvent rendre difficile l'accès au travail rémunéré et ce, parfois durant un certain temps.
La crise du logement
La crise du logement actuelle implique qu'il est particulièrement difficile pour les victimes de violence conjugale de penser pouvoir trouver à se loger décemment à un coût raisonnable rapidement suite à une rupture. Le risque d'itinérance existe même pour de certaines victimes. Elles sont nombreuses à nous dire que la crise du logement est l'un des obstacles principaux pour elles lorsqu'elles pensent à partir.
La méconnaissance de leurs droits
La plupart des victimes de violence conjugale ne connaissent pas bien leurs droits. Elles connaissent très peu les recours judiciaires disponibles au criminel et les comportements pour lesquels elles peuvent y faire appel. Elles ne savent pas qu’elles peuvent rompre leur bail en raison de la violence conjugale. Elles ne savent pas qu’elles ont accès à des statut particuliers si leur statut d’immigration est lié à celui de leur partenaire, s’il est échu ou si elles sont sans statut. Elles ne connaissent pas bien leurs droits au niveau de la justice familiale, le droit de leurs enfants à une pension alimentaire, leur droit au patrimoine familial si elles sont mariées, etc.
La méconnaissance des ressources disponibles
La plupart des victimes de violence conjugale ignorent que de nombreuses ressources et programmes existent pour les aider. Elles ne savent pas qu’elles ont accès à de l’hébergement gratuit avec leurs enfants. Elles ne connaissent pas les programmes d’aide au logement disponibles. Elles ne savent pas qu’il existe un programme d’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC). Elles ne connaissent pas les mesures de sécurité qui peuvent être mises en place lorsqu'un potentiel de danger est élevé. Elles ne savent pas qu’elles peuvent avoir des conseils légaux et avoir du soutien psychosocial gratuitement pour préparer et mettre en place une rupture sécuritaire. Etc.
L'indisponibilité des ressources
Au-delà de la connaissance des ressources, encore faut-il que l’accès soit facile (selon la distance par exemple) et que les services soient disponibles lorsque les victimes de violence y font appel, pour de l'hébergement par exemple. Malheureusement, les ressources au Québec sont limitées et souvent insuffisantes pour répondre aux besoins. Il est possible qu’une victime demeure dans sa relation parce qu’elle n’a pas trouvé les ressources dont elle avait besoin au moment où elle était prête à y accéder… et que les autres enjeux de sa situation se soient refermés sur elle par la suite. Il faudrait toujours pouvoir dire oui lorsqu'une victime de violence conjugale demande l'accès aux ressources.
La confusion face à la situation
Il est très difficile pour les victimes de percevoir la violence conjugale pour ce qu'elle est. Les partenaires violents mettent en place différents mécanismes de violence psychologique pour manipuler et brouiller la perception des victimes face à leur situation, et leur remettre une grande part de responsabilité pour les difficultés rencontrées dans la relation. De plus, une grande partie de la violence conjugale demeure encore méconnue et est donc très difficile à identifier, c'est le cas de la violence psychologique, émotionnelle, identitaire, du contrôle coercitif, etc. Il est difficile d'amorcer une réflexion sur un départ potentiel quand on a de la difficulté à se voir comme une victime de violence conjugale et qu'on pense être responsable de la situation.
Ces enjeux (et bien d’autres) impliquent qu’il est de loin préférable qu’une rupture en situation de violence conjugale soit préparée plutôt que précipitée, et qu’il est essentiel de respecter les décisions de la victime quant au rythme de la rupture.
Pour le meilleur et pour le pire : l'engagement envers le partenaire et la famille
On aborde souvent la question “pourquoi la victime reste dans la relation” sous l'angle des enjeux qui piègent la victime dans la relation, comme on vient de le faire ci-haut. Il ne faut cependant pas oublier qu’un autre facteur important vient aussi influencer la décision d’une personne face à sa relation : l’engagement personnel de la victime envers son partenaire et sa famille. Lorsqu’une personne a des valeurs profondes associées à l’altruisme, à la compassion, à la fiabilité, à la persévérance et au respect de l'autre, cela peut favoriser le maintien d’une relation, même lorsque cela ne se passe pas bien dans le quotidien.
De plus, les relations amoureuses sont fortement marquées par des moments d’engagement puissants : sortir officiellement ensemble, annoncer la relation à ses proches, décider de vivre ensemble, décider d’avoir un enfant, célébrer les anniversaires de la relation, décider de se fiancer puis de se marier, décider d’acheter une maison, etc. Que ce soit des engagements officiels comme ceux qu'on prononce dans les vœux du mariage ou dans un contrat d'hypothèque ou les promesses quotidiennes qu'on se fait dans un couple au fil des moments tournants de la vie, l’engagement envers le partenaire, envers ses enfants et envers ses obligations peuvent être très profondément ancrés pour plusieurs victimes de violence conjugale et peser lourd dans la balance quand vient le temps de réfléchir à la possibilité d’une rupture.
Sans compter que ces belles qualités d'engagement, de fiabilité et de persévérance sont fréquemment expressément instrumentalisées et exploitées par les partenaires violents pour garder la personne dans la relation.
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Bien que la violence conjugale touche majoritairement des femmes, elle peut aussi toucher les hommes et les personnes issues de la diversité sexuelle et de genre. Les services de SOS violence conjugale sont offerts à toutes les personnes touchées par la problématique.
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